Dès le lendemain, l’éditorialiste du Quotidien Marc Saint-Hilaire parlait de «répercussions majeures». Un article du Devoir déterrait un dossier qu’on pensait clos en soulignant à gros traits que le nouveau dépotoir de boues rouges est prévu sur une colline. Un article de Radio-Canada titre Les députés provinciaux convoquent RTA à une rencontre au sommet. Les mots ont un sens. Convoquer, ce n’est pas demander encore moins inviter. C’est assez rare, venant des élus jouant généralement le rôle de collaborateur de RTA. Il faut en mesurer la signification symbolique.
En réaction de « contrôle des dommages », la multinationale a repoussé à 2030 l’aménagement de son nouveau dépotoir de boues rouges, a tenté de minimiser la construction de son parc éolien en indiquant en être qu’à l’étape d’évaluation des vents et a fait miroiter, encore une fois, le mirage Elysis.
Privilèges disproportionnés de Rio Tinto
Dans les faits, Rio Tinto continue de demander des privilèges et non les moindres. Le dernier en date et il est de taille: un parc d’éoliennes d’une capacité de 700 à 1000 MW dans le secteur de Chutes des Passes. On comprend maintenant le départ précipité d’Yvan Vella et son remplacement par Jérôme Pecresse qui vient d’Energie Alstom et General Electric Énergies renouvelables. Si on se fie à l’estimation d’Hydro-Québec, on parle d’un territoire de près de une fois et demie celui de l’île de Montréal. Rio Tinto contrôle déjà tout le territoire du bassin versant du lac Saint-Jean avec tous les inconvénients qu’on connait pour les riverains, est-il avisé d’en rajouter?
Le pacte social de la nationalisation de l’électricité a permis à Alcan de conserver la propriété de ses barrages de 3 000 MW au début des années 60 auxquels s’est ajouté 200 MW ce qui équivaut à des subventions déguisées de plus de 700 millions de $ par année. Faut-il le rappeler, ce privilège était accordé à l’Alcan en retour du maintien d’un très grand nombre d’emplois et d’un engagement pour la transformation de l’aluminium. Or les emplois sont passés de 12 000 à 3 500 en 60 ans et les lingots sont toujours exportés sans transformation. Il est tout à fait normal de (re)questionner les énormes privilèges consentis en regard des échecs retentissants.
Alors que le gouvernement devrait se développer un rapport de force face à Rio Tinto, il se complait dans une attitude collaborationniste nuisible au bien commun. Avec l’offensive tous azimut de la CAQ sur la production d’électricité éolienne privée et la volonté avouée de Fitzgibbon de changer la loi pour permettre aux producteurs privés de vendre à leurs voisins, les nouvelles demandes de Rio Tinto viennent élargir dangereusement la brèche du modèle de monopole d’électricité. Hydro-Québec a pourtant fait le succès énergétique, économique, environnemental et social du Québec. Rio Tinto fait partie de l’équipe d’affairistes qui veut accélérer la privatisation d’Hydro-Québec par la porte d’en arrière afin de s’accaparer la richesse liée à cette ressource indispensable.
Aluminium pas si « vert »
Rio Tinto, avec la complicité du gouvernement, joue à fond la carte de l’écoblanchiment avec « l’aluminium vert». Cette étiquette sort fortement amochée de l’émission Enquêtes qui s’est beaucoup concentrée sur la question de la bauxite. Reste la carte Elysis. RTA tout comme la CAQ en use et en abuse. Il faut aussi comprendre que cette technologie risque d’être encore plus énergivore d’où les demandes de MW supplémentaires. Tous les nouveaux MW qui seraient engloutis dans Elysis, ne pourraient pas servir à remplacer le gaz et le pétrole. Quelle serait la meilleure utilisation de nos MW pour la décarbonation? Elysis et produire encore plus de lingots d’aluminium exporté sans transformation avec des coupures d’emploi ou mettre fin au gaz et au pétrole?
De plus, les retards d’Elysis ne font que s’additionner ce qui laisse croire qu’il y a très loin de la coupe aux lèvres. Dans un article du journal Le Monde du 10 mars dernier portant sur la nécessaire conversion de Dunkerque, la plus grande aluminerie d’Europe, son porte-parole y aborde la question de la technologie des anodes inertes et souligne qu’il est question de R&D sur un horizon d’une dizaine d’années. Cela démontre l’ampleur de l’incertitude. Ici, pour Elysis, après 160 millions de dollars en subvention, on en parle maintenant pour 2035 et encore. La technologie Elysis ressemble de plus en plus à une fuite en avant qui pour détourner notre regard de la réalité. La réalité c’est qu’une multinationale étrangère milliardaire jouissant de privilèges déjà immenses, veut maintenant profiter de la conjoncture politique pour en rajouter.
Face à l’instrumentalisation de la crise climatique de la part de la CAQ pour justifier une opération sans précédent de privatisation de l’électricité qui agira comme un cancer pour attaquer Hydro-Québec, nous pensons que seule la société civile peut freiner les ambitions affairistes de détournements de fonds publics, d’accaparement de notre territoire et de dilapidation de notre héritage collectif.
— Martine Ouellet, cheffe de Climat Québec, ancienne ministre des Ressources naturelles et ancienne gestionnaire chez Hydro-Québec