Rouyn-Noranda, le dimanche 13 octobre 2024 – Aujourd’hui avait lieu la grande marche pour revendiquer le droit à une qualité de l’air sans risque pour la santé, et le droit à un environnement sain et sécuritaire à Rouyn-Noranda. Plus de 500 personnes se sont rassemblées dans les rues, dont bon nombre d’entre elles sont venues de plusieurs villes au Québec, en solidarité à la communauté de Rouyn-Noranda. La marche s’est terminée avec les artistes et militant·es allongé·es sur les rails, devant la Fonderie Horne, rappelant ainsi que les intrants importés par la multinationale et incinérés à même l’usine, contribuent largement à la contamination de la ville et à la mise en danger de sa population.
« Depuis plus de deux ans, les mères de Rouyn-Noranda ont tenté et épuisé tous les moyens de se faire entendre. Si le gouvernement est resté sourd à ces appels, plusieurs mères, pères et artistes nous ont entendues. Ils et elles ont décidé de nous prêter main-forte parce que ce qui se passe à Rouyn-Noranda pourrait se reproduire n’importe où. » Isabelle Fortin Rondeau, du groupe de Mères au front Rouyn-Noranda
Des allocutions ainsi que des témoignages touchants, des performances poignantes, et des actions aux symboliques puissantes ont été déployées. Plusieurs artistes et personnalités publiques ont pris part aux performances. Notons la présence de Ève Landry, Alexandre Castonguay, Anaïs Barbeau-Lavalette, Steve Gagnon, Véronique Côté et Laure Waridel, accompagné·es par la musique de Chloé Lacasse qui a livré une magnifique interprétation de la chanson Va-t’en pas de Richard Desjardins. Copper Crib a également apporté sa touche artistique avec l’une de leurs chorégraphies dansée dans la rue.
S’ancrer dans le territoire
La manifestation a débuté par les prises de parole d’Isabelle Fortin-Rondeau, résidente de Rouyn-Noranda et mère au front, ainsi que Diane Polson, conseillère politique au conseil de la communauté anishnabe de Long Point.
C’est devant le bureau du député Daniel Bernard que Thomas Faber et Jennifer Ricard Turcotte ont abordé les sujets du rôle des élus dans l’état de statu quo par rapport à la fonderie, ainsi que du très controversé projet Horne 5, toujours en attente de se concrétiser ou non.
L’aréna Dave Keon aura servi d’exemple à Marc-André Larose et Simon Turcotte, deux résidents, qui se sont prononcés pour leur part sur « l’omerta des commandites » qui règne à Rouyn-Noranda, avec le nom Glencore se retrouvant à peu près partout.
Sur le chemin en direction de la Fonderie Horne, Alexandre Castonguay a livré un texte touchant, avant de nous inviter à parcourir les derniers mètres en silence. Il était ainsi possible d’entendre des extraits d’entrevues, menées par le collectif Tomber debout, avec les résident·es faisant partie de la « Zone tampon » dont la première maison a été détruite en décembre 2023.
« C’est pratiquement tout moi qui a fait le travail [sur ma maison]. J’ai pas l’énergie de refaire ça, là […] L’exercice pour moi, ça a été d’essayer de la regarder, pis de l’haïr [ma maison]. De voir les côtés négatifs. Je pense que j’ai besoin de ça pour faire le deuil. Si j’ai une autre maison, ce sera pas MA maison. Ma maison va mourir c’te journée-là [où elle sera détruite]. » – Texte tiré d’un extrait des entrevues
La dernière scène
Pour le tableau final, Ève Landry, Anaïs Barbeau-Lavalette, Steve Gagnon, Véronique Côté et Laure Waridel sont monté·es sur la scène pour livrer une performance bouleversante, dévoilant tour à tour les parties de leur corps « malades » ou l’ayant été, peintes en noir pour en simuler la putréfaction. Le texte de Véronique Côté, diffusé en trame de fond pendant la performance, était incisif et troublant de vérité. Des mères au front se sont massées autour de la scène, arborant des photos des enfants qu’elles protègent. La mise en scène renvoyait à l’image de Rouyn-Noranda comme étant une zone sacrifiée du Québec. Une zone abandonnée par les gouvernements.
« Tu vis dans une ville que tu aimes, où tu as passé toute ta vie. Depuis peu, tu sais avec certitude qu’habiter ici t’empoisonne depuis le début de ton existence. »
« Ton enfance est une zone sacrifiée. Depuis des dizaines et des dizaines d’années, la Fonderie Horne qui surplombe ta ville a outrepassé les seuils d’émission d’arsenic, en toute connaissance de cause, avec la bénédiction de l’État québécois. » – Extraits du texte final écrit par Véronique Côté.
Entre autres messages essentiels, ce qui est ressorti est que, bien plus qu’une question environnementale, Rouyn est l’exemple flagrant d’un cas qui devrait sérieusement être considéré par la santé publique, en plus d’exposer les innombrables lacunes environnementales et humaines au sein de la vision globale du développement économique du Québec. Le gouvernement accepte, encore aujourd’hui, et non pas uniquement à Rouyn-Noranda, de sacrifier des populations à proximité d’usines, de mines, d’industries, prétextant le bien de l’économie québécoise.
Pendant que Chloé Lacasse entonnait la pièce Nataq (Richard Desjardins), non sans émotion et encore quelques larmes dans la voix, les artistes et certaines mères au front se sont couché·es sous les wagons se trouvant sur les rails longeant la fonderie pour symboliser l’extrême urgence de se faire entendre, enfin. Toute l’action s’est déroulée de manière pacifique et sans heurts.
Assez c’est assez
Le message est clair : la population de Rouyn-Noranda en a assez d’être une zone sacrifiée du Québec, de se voir exposée à des risques accrus de maladie du système nerveux, de cancers du poumon et des voies urinaires, à un plus grand nombre de naissances de bébé de faible poids, et des issues de grossesse défavorables. Appuyé·es par des mères au front et des allié·es de partout sur le territoire québécois, la solidarité envers les citoyen·nes de Rouyn était palpable, sans oublier les artistes venu·es amplifier le message par des performances artistiques bouleversantes et on ne peut plus éloquentes.
« Nous reviendrons mettre la lumière sur votre lâcheté tant que vous ne ferez pas respecter ce droit. Nous continuerons de ramener ce débat dans l’espace public tant que ce ne sera pas réglé. Il faut que la vérité sorte de l’Abitibi. Il ne sera pas question de se fermer la gueule. » – Extrait du texte final écrit par Véronique Côté
Rappelons que l’autorisation ministérielle entérinée en 2023 demeure largement insatisfaisante, permettant toujours à la Fonderie Horne de rejeter dans l’air de Rouyn-Noranda des quantités allant jusqu’à 15 fois la norme nationale sur l’arsenic, celle-ci étant établie à 3 ng/m3. Selon ladite entente, la Fonderie Horne est seulement tenue à graduellement diminuer les émissions à 15 ng/m3 (soit 5 fois la norme), avant de présenter un éventuel plan. Pour permettre l’obtention de métaux critiques, le gouvernement québécois accepte d’exposer la population à des taux d’arsenic qu’il sait lui-même être dangereux.
Depuis des années, la population de Rouyn-Noranda est exposée à de l’arsenic, du plomb, du cadmium, du nickel, du cuivre et du dioxyde de soufre à des taux beaucoup plus élevés que partout ailleurs au Québec. Au moins 25 contaminants sont mesurés dans l’air, l’eau, la neige ou les sols des environs. Plusieurs de ces contaminants sont des cancérigènes et des neurotoxiques sans seuil, ce qui signifie qu’ils entraînent des risques quelle que soit la dose. Les normes sont déjà un compromis.